Un chiffre accablant : 7 DPE sur 10 comportent des erreurs
Dans son rapport de juin 2025, la Cour des comptes alerte sur un fait aussi massif qu’inquiétant : 70 % des diagnostics de performance énergétique (DPE) réalisés en 2023 comportaient au moins une anomalie. Ce chiffre, issu des contrôles menés par la DGCCRF, n’a pas fait la une des journaux — mais il devrait. Car il remet en cause la crédibilité d’un outil devenu central dans la politique de transition énergétique française et qui a chamboulé l’économie de l’immobilier, forçant notamment des petits propriétaires à vendre leur bien avec une grosse décote.
Quelle est la nature de ces erreurs ?
Les anomalies recensées sont de plusieurs types :
- erreurs de saisie dans les logiciels de calcul
- utilisation de valeurs par défaut non conformes
- absence de documents techniques (plans, surfaces exactes, composition des parois, etc.)
- mauvais relevé des équipements (chauffage, ventilation, eau chaude)
- classement incohérent par rapport à des biens comparables
Il ne s’agit donc pas de simples coquilles. Ces erreurs peuvent modifier l’étiquette énergétique d’un logement, avec des conséquences directes sur sa valeur, sa location ou sa vente. Voir + loin.
Des conséquences juridiques de plus en plus lourdes
Depuis que le DPE est opposable (juillet 2021), une erreur engage la responsabilité du vendeur, du bailleur… et du diagnostiqueur. Plusieurs contentieux ont vu des acheteurs obtenir des dommages-intérêts, voire une annulation partielle de la vente. Pour les propriétaires bailleurs, une mauvaise étiquette peut entraîner l’interdiction d’augmenter le loyer, voire d’interdire la mise en location.
À Marseille et à Nantes, des tribunaux ont reconnu des fautes graves dans l’établissement du DPE, engageant la responsabilité professionnelle du diagnostiqueur et sa compagnie d’assurance.
Un système de certification bancal et peu contrôlé
La Cour des comptes souligne que la formation et la certification des diagnostiqueurs sont assurées par des structures privées… parfois aussi organismes de formation. Résultat : conflit d’intérêts, formation bâclée, et validation à la chaîne de professionnels peu qualifiés.
Les 70 % d’anomalies ne sortent pas de nulle part : ils sont le fruit d’un système de certification laxiste, peu encadré par l’État. La DGCCRF ne dispose que de quelques agents à temps partiel pour vérifier des dizaines de milliers de DPE par an.
Une profession en mal de reconnaissance et d’expertise
Le métier de diagnostiqueur immobilier n’exige, à ce jour, aucun diplôme d’État. Une formation courte, une certification à renouveler tous les 5 ans, et le tour est joué. Le rapport de la Cour recommande la création d’une carte professionnelle, l’exclusion des centres de certification non indépendants, et une réforme complète du parcours de formation.
Un audit interne de l’Afnor a révélé que plus d’un tiers des diagnostiqueurs certifiés en 2023 ne maîtrisaient pas les fondamentaux de la thermique du bâtiment. Certains logiciels sont mal paramétrés, et les diagnostics sont parfois réalisés en 45 minutes chrono pour maximiser la rentabilité.
Des millions de logements potentiellement mal classés
Avec plus de 2 millions de DPE réalisés par an, 70 % d’anomalies représentent environ 1,4 million de logements potentiellement mal évalués chaque année. Ces erreurs ont un impact sur :
- le marché immobilier (surévaluation ou dévaluation injustifiée)
- les locataires (loyers bloqués ou hausses injustifiées)
- les propriétaires (faux travaux recommandés, litiges, gel de transactions)
- les finances publiques (attribution d’aides MaPrimeRénov’ à tort ou refus injustifiés)
Le coût global de cette désorganisation n’est pas encore estimé, mais il se chiffre en centaines de millions d’euros.
Un problème connu depuis des années… et jamais traité sérieusement
Les critiques sur la fiabilité du DPE ne datent pas de 2023. Déjà en 2013, l’UFC-Que Choisir pointait des écarts de 2 classes énergétiques selon le diagnostiqueur. En 2021, la réforme de la méthode de calcul n’a pas réglé le problème. Pire : elle l’a aggravé en standardisant des paramètres que les diagnostiqueurs ne savent pas toujours collecter.
L’État continue pourtant d’imposer des obligations juridiques basées sur le DPE : interdiction de location, refus d’aides, contraintes de travaux… sans garantir que l’outil est fiable. C’est un déni de réalité.
Les recommandations de la Cour des comptes pour y remédier
La Cour propose plusieurs pistes concrètes :
- imposer une séparation stricte entre formation et certification
- créer une carte professionnelle encadrée par l’État
- renforcer les contrôles statistiques via l’Ademe
- mettre en place un audit obligatoire des diagnostiqueurs ayant un taux élevé d’anomalies
- expérimenter l’intelligence artificielle pour repérer les incohérences massives dans les DPE à l’échelle nationale
Mais ces recommandations, bien que pertinentes, restent à l’état de propositions. Aucune n’a été traduite dans la loi à ce jour.
Les vrais problèmes du DPE, sur le terrain
En réalité, les erreurs des diagnostiqueurs viennent en majorité du fait que les quelques logiciels agréés proposent de préremplir certaines données. Ainsi, le département, l’altitude et quelques autres données d’entrée sur la petite centaine que compte le DPE, sont pré-remplies. Certaines de ces données, comme la Consommation journalière Eau Chaude Sanitaire ou la Consommation de chauffage ou le Comportement refroidissement doivent « choisir » entre comportement conventionnel ou comportement dépensier. En choisissant l’un ou l’autre, on change le DPE. Voir le détail de la méthode de calcul du DPE.
Souvent aussi, le fait que l’étage du dessus soit habité (donc a priori chauffé) ou vide (donc récupérant de la chaleur donc augmentant la production) est aussi rempli à la va-vite, sans vérifier. Or tout le monde a expérimenté des voisins qui ne se chauffent que très peu, comptant sur les autres..
Les entrées de données du DPE sont ainsi remplies de « failles » qui permettent d’ « adapter » le DPE , de l’améliorer ou d’y faire des erreurs.
Vers une réforme de fond, ou une fuite en avant ?
La France a besoin d’un outil de diagnostic énergétique fiable, car des milliards d’euros d’aides, de droits et d’obligations y sont adossés. Maintenir le système actuel, c’est courir le risque d’un effondrement de la confiance dans la rénovation énergétique — et d’une judiciarisation croissante du logement.
Sans réforme rapide, le DPE restera une usine à contentieux, un fardeau administratif pour les ménages, et un gouffre pour les finances publiques.