DPE: Que dit le rapport de la Cour des Comptes ?

La Cour des Comptes a étrillé le dispositif du DPE dans un rapport disponible ici.

Que dit ce rapport ? Que préconise la Cour des Comptes ? Va -t-on abandonner le DPE après qu’il ait causé tant de problèmes et de changements dans le marché de l’immobilier ?

DPE: un diagnostic énergétique aux enjeux considérables

Depuis sa création en 2006, le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu un pilier de la politique publique française de rénovation des bâtiments. Réformé en profondeur en 2021, il est désormais opposable et conditionne la mise en location des logements. Derrière cet outil technique se cachent des bouleversements majeurs pour les propriétaires, les professionnels du bâtiment, les collectivités et le marché immobilier tout entier.

Le rapport de la Cour des comptes de juin 2025 dresse un bilan critique de la mise en œuvre du DPE. Il pointe un dispositif mal préparé, mal articulé aux autres normes, générateur d’effets de bord significatifs.

Réforme du DPE en 2021 : un outil devenu opposable

Du simple indicateur au document juridiquement contraignant

Jusqu’en 2021, le DPE avait une valeur purement informative. Depuis le 1er juillet 2021, il est devenu opposable : il engage juridiquement le vendeur ou le bailleur. En cas d’erreur ou d’omission, l’acquéreur ou le locataire peut engager des recours. Ce changement a renforcé la portée du DPE mais a aussi accru les risques juridiques et les tensions sur le marché.

Par ailleurs, en 2021, le calcul du DPE a profondément changé notamment en ne tenant quasiment plus compte de la VIE réelle à l’intérieur du logement (seulement 3 données en entrée tiennent compte du type de vie dans le logement et donc par exemple, une résidence secondaire ou principale auront le même calcul de DPE à peu de choses près alors que les « apports de chaleur » autres que le chauffage ne sont pas les mêmes). Voir ici la nouvelle méthode de calcul du DPE.

Cette opposabilité a transformé le DPE en véritable outil de régulation immobilière. Les litiges se sont multipliés, avec une hausse notable des contentieux portés devant les juridictions civiles. Certaines juridictions ont reconnu la responsabilité des diagnostiqueurs et des vendeurs pour défaut d’information ou erreur manifeste dans le classement énergétique.

Un calendrier d’interdictions progressives de location

Les logements les plus énergivores sont progressivement interdits à la location :

  • logements classés G depuis janvier 2025
  • logements F à partir de 2028
  • logements E à partir de 2034

Ce calendrier bouleverse le parc locatif, notamment dans les zones tendues. Environ 5,8 millions de logements sont concernés. Dans certaines communes, cela représente jusqu’à 40 % du parc locatif privé. Des propriétaires, en particulier modestes ou âgés, sont confrontés à l’impossibilité financière de rénover. Plusieurs collectivités locales alertent sur une explosion des demandes de relogement social.

Conséquences patrimoniales et juridiques pour les propriétaires

Interdictions de location et sanctions possibles

Les bailleurs ne peuvent plus augmenter le loyer des logements classés F ou G, et risquent une interdiction de louer si le DPE n’est pas conforme. En cas de non-respect, le juge peut ordonner des travaux, suspendre le loyer ou accorder des dommages-intérêts au locataire.

Le locataire peut aussi saisir la CAF pour bloquer le versement des aides au logement (APL), si le logement ne respecte pas la décence énergétique. Certaines juridictions commencent à appliquer ces mesures strictement, renforçant la pression sur les propriétaires bailleurs.

Incertitude juridique et multiplication des DPE

Aucun texte n’encadre le nombre de DPE par bien. Certains propriétaires commandent plusieurs diagnostics pour obtenir une meilleure étiquette. Ce « shopping de DPE » fragilise la crédibilité du dispositif. Cette pratique alimente également une forme de concurrence déloyale entre diagnostiqueurs, certains acceptant des ajustements « commerciaux » pour satisfaire le client.

Un outil mal articulé avec les autres normes

Contraintes d’urbanisme et copropriété ignorées

La rénovation énergétique, notamment par l’extérieur, se heurte aux règles d’urbanisme (emprise au sol, façades classées) et de copropriété (vote à la majorité qualifiée). L’interdiction de louer peut donc s’appliquer à un propriétaire… sans qu’il puisse faire les travaux.

Dans certains centres-villes historiques, il est quasiment impossible d’appliquer une isolation par l’extérieur. À Paris ou Lyon, les architectes des bâtiments de France (ABF) s’opposent fréquemment à des transformations visibles. Résultat : blocage, incompréhension et sentiment d’injustice pour les copropriétaires concernés.

Confusion entre DPE individuel et collectif

Dans les copropriétés, le DPE collectif est parfois en contradiction avec les DPE individuels, ce qui freine les rénovations globales. Le Conseil supérieur du notariat recommande d’accorder la primauté au DPE collectif pour fluidifier les décisions. (Voir Différences entre DPE collectif et DPE individuel)

Cependant, cette proposition se heurte à la défiance des copropriétaires, notamment ceux qui ont payé des rénovations individuelles récentes. Une harmonisation réglementaire s’impose.

Fiabilité du DPE : des progrès, mais des limites persistantes

Une méthode de calcul standardisée depuis 2021

Le DPE repose sur une estimation théorique fondée sur les caractéristiques du bâti. Il ne dépend plus des factures réelles, ce qui améliore sa comparabilité. Mais cette méthode reste fragile pour les logements anciens ou atypiques.

Les bâtiments construits avant 1948 ou les logements de moins de 30 m² sont particulièrement exposés à des classements sévères. Des ajustements ont été introduits en 2024 pour corriger ces biais, mais restent encore insuffisamment appliqués.

Erreurs fréquentes et formation insuffisante des diagnostiqueurs

Les erreurs sont fréquentes : mauvais relevés, documents manquants, pressions des clients… En 2023, 70 % des DPE présentaient au moins une anomalie selon la DGCCRF. Des efforts de professionnalisation ont été engagés depuis 2024 (examens renforcés, hausse du volume de formation).

Un rapport confidentiel de l’Afnor en 2023 révélait que 1 diagnostiqueur sur 3 ne maîtrisait pas correctement les logiciels de calcul thermique. Le projet de création d’un diplôme d’État pour encadrer la profession est en discussion au ministère.

Une filière peu contrôlée, à la régulation lacunaire

Certification confiée à des organismes privés

Le contrôle est délégué à des organismes accrédités (Afnor, Icert, etc.), eux-mêmes parfois liés à des organismes de formation, posant des problèmes d’impartialité. La Cour recommande une séparation stricte entre formation et certification.

Certains centres combinent certification, formation initiale et re-certification, ce qui est en totale contradiction avec les principes d’indépendance prévus par les directives européennes.

Rôle marginal de l’État dans la surveillance

La DGCCRF a peu de moyens pour contrôler les diagnostiqueurs. L’Ademe vérifie uniquement les anomalies statistiques sur sa plateforme. Aucun audit qualitatif systématique n’est prévu.

Une expérimentation d’intelligence artificielle pour détecter les incohérences entre bâtiments similaires dans une même rue a été lancée début 2025 par l’Observatoire DPE. Elle est prometteuse mais encore en phase pilote.

Articulation défaillante entre DPE et aides à la rénovation

Absence de lien direct avec les aides publiques

Le DPE est requis pour accéder à certaines aides (MaPrimeRénov’), mais ne propose pas de scénario chiffré de travaux. Seul l’audit énergétique (plus cher) fournit une estimation détaillée.

En moyenne, un DPE coûte entre 150 et 250 euros. Un audit énergétique, obligatoire pour la vente d’un logement classé F ou G, coûte entre 700 et 1500 euros, sans subvention dans la plupart des cas.

Efficacité incertaine sur les rénovations effectives

Malgré la hausse des DPE, la part des rénovations performantes reste trop faible pour atteindre l’objectif de rénovation de 1 million de logements par an. L’effet incitatif du DPE reste à démontrer.

Le rapport de l’Anah estime que seulement 28 % des rénovations financées par MaPrimeRénov’ ont permis un changement d’étiquette significatif (au moins 2 classes gagnées).

Impacts sur le marché immobilier et le logement

Baisse des ventes et hausse des passoires sur le marché

De nombreux propriétaires se séparent de leurs logements classés F ou G, ce qui déstabilise le marché : +7 points de part de marché des passoires entre 2021 et 2023. Les biens bien classés se vendent mieux (+4 à +20 % selon les régions).

L’effet sur la valeur vénale est désormais mesuré avec précision par les notaires. En Île-de-France, un logement classé A ou B se vend en moyenne 12 % plus cher qu’un logement D, toutes choses égales par ailleurs.

Tensions sur l’offre locative

Entre 2021 et 2023, l’offre locative a chuté de 33 % pour les logements classés F ou G, contre 22 % pour les autres. Résultat : pénurie dans certaines zones, hausse des loyers et mise à mal du droit au logement.

À Marseille, Strasbourg ou Lille, des associations signalent un retour de la mise en location illégale de logements non conformes, faute d’alternatives pour les locataires précaires.

Recommandations et perspectives de réforme

Les recommandations de la Cour des comptes

  1. Articuler le DPE avec les règles d’urbanisme et de copropriété
  2. Renforcer la communication grand public
  3. Contrôler statistiquement les DPE par l’Ademe
  4. Créer une carte professionnelle pour les diagnostiqueurs
  5. Imposer une séparation géographique et fonctionnelle dans la filière

Pistes de réforme complémentaires

  • Réduction du coût de l’audit énergétique via un crédit d’impôt
  • Mise en place d’un registre national des travaux réalisés post-DPE
  • Sanctions graduées et ciblées selon la bonne foi du propriétaire
  • Obligation de suivi post-rénovation pour mesurer l’efficacité réelle

Le DPE est devenu un levier structurant de la politique de rénovation énergétique. Mais sa mise en œuvre reste confuse, inégalitaire et juridiquement fragile. Sans clarification réglementaire, meilleure articulation avec les aides, et régulation renforcée de la filière, il risque d’amplifier les fractures sociales et territoriales. Les recommandations de la Cour des comptes doivent être rapidement traduites en actes.

Vous êtes propriétaire, bailleur ou professionnel du bâtiment ? Consultez nos autres articles sur la rénovation énergétique, les aides disponibles ou les diagnostics immobiliers. Demandez notre simulateur EXCEL de DPE qui permet de le calculer avec la nouvelle méthode.

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